Monique Rouillé-Boireau
I’m not a negro, I’m a human being… C’est par cette phrase que se conclut le film de Raoul Peck, (2017), I’m not your negro, sur un scénario de l’écrivain noir américain James Baldwin (1979). Et dans ce glissement du « your » au « a » se joue une conception de l’émancipation : le passage d’une définition de soi par le regard de l’Autre, le miroir qu’il vous tend, à l’auto-définition de soi, être libre et égal, parcelle du genre humain.
Ces propos entrent en résonance avec les débats actuels sur la « racisation » (présentée comme la façon la plus adéquate de dénoncer les discriminations raciales qui continuent à prospérer dans nos sociétés) et l’universalisme, contesté dans son potentiel émancipateur pour tous. On assiste en effet, et depuis un moment déjà, à un retour en force de la notion de « race » et des approches en termes identitaires, et à l’ethnicisation, à la « culturisation » de la pensée des rapports sociaux, tout cela dans un contexte de critique post-moderne et décoloniale à l’universalisme et aux Lumières.
Tout se passe comme si la radicalité était du côté des analyses en termes de « racisés », décolonial, qui semblent avoir pris le relais d’un marxisme défaillant. En face, les tenants d’un universalisme sont non seulement ringardisés, mais risquent de se retrouver en mauvaise compagnie : au mieux avec les « nationaux républicains », au pire avec l’extrême droite, qui se réapproprient « tactiquement » l’universel en le pervertissant, l’utilisant pour exclure et non inclure, et pour créer des barrières étanches entre groupes culturels et ethniques. Bref, ceux qui pensent que l’universel n’est pas que particularisme blanc, seraient, à leur insu, des « racistes antiracistes ».
C’est dans ce contexte que l’on assiste heureusement à un regain d’intérêt pour l’idée d’universel, à un souci de le repenser en tenant partiellement compte de certaines critiques émanant des courants post-modernes ou décoloniaux, mais en conservant l’horizon de l’unité du genre humain, et l’idée corrélative de commun, de raison critique et d’émancipation. C’est dans cette optique que nous allons ici essayer de dégager ce qui, dans l’universel aujourd’hui, fait sens pour qui garde le cap de l’émancipation. […]
Alors, l’universel toujours bon à penser ? Pourquoi et comment, tout simplement. Deux points seront évoqués :
Pourquoi : parce qu’il y a du nouveau dans le retournement de l’antiracisme en essentialisation ; parce que les critiques post-moderne et décoloniales à l’universel et à la raison rencontrent des limites.
Comment repenser l’universel sur de nouvelles bases ? En envisageant les liens du commun, du particulier et de l’universel.
Aujourd’hui la nature de la critique à l’universel s’est infléchie. Jusque-là, elle portait sur l’écart entre les valeurs de liberté, égalité, émancipation pour tous, et des réalités historiques qui les démentent largement (la liste est longue). L’universalisme était accusé d’être aveugle aux discriminations et inégalités de fait, d’occulter les différences de race, de sexe, etc., mais on ne remettait pas en cause l’unité d’un genre humain, composé de multiples différences. Or aujourd’hui, c’est la race qui devient l’organisateur central de toutes les significations et sert à nommer groupes et liens sociaux. Quand il s’est agi il y a quelques années d’inscrire, au nom de l’égalité, la différence homme/femme dans la Constitution française, on a utilisé le terme de parité, qui renvoyait à l’unité d’un genre humain constitué de deux sexes ; on refusait le différentialisme. Aujourd’hui que les différences et particularismes passent du statut républicain « d’impensé », à « bonnes à penser », on ne peut que s’en réjouir, mais la différence, et la clôture qui lui est liée, est-elle apte à se substituer à l’universel pour penser la condition de l’humain, l’intersubjectivité et, partant, le vivre ensemble ?
On le sait, la race est une construction imaginaire de catégories faites pour discriminer, sans lien avec un phénotype. Et l’on sait que ces marqueurs de discrimination varient et sont du reste assez « décollés » de la supposée « couleur ». Ainsi en France au XIXᵉ siècle, les Italiens et les Polonais… n’étaient pas vraiment blancs. Aux USA, les Arabes sont blancs, ici non. Ces couleurs et les hiérarchies qui les accompagnent sont une construction de l’anthropologie du XIXᵉ siècle ; revendiquer leur « visibilité » pour dénoncer l’hypocrisie, et retourner le stigmate en se l’appropriant, aboutit à enfermer chacun dans sa pure expérience. On pense alors dans les catégories construites par le racisme.
Autrefois, le racisme biologisant des colons était inégalitaire, il avait construit des inégalités (les races « inférieures ») dans un genre humain commun. Aujourd’hui il laisse la place à un racisme culturel, différentialiste (les personnes « racisées ») fondé sur l’incompatibilité des différences.
Les reproches faits à l’universel d’essentialiser un Sujet historique de l’émancipation se sont retournés en leur contraire, car l’analyse en termes d’identité et de race essentialise les différences, en séparant et en figeant les personnes dans leurs groupes et leurs origines, en organisant la non-communicabilité des cultures. Et on assiste d’ailleurs à la création d’une continuité assez fausse et illusoire entre racisme colonial et discriminations sociales et culturelles dans la société française aujourd’hui[^1], qui s’accompagne du reproche d’appropriation culturelle : des artistes blancs ne peuvent représenter les expériences de personnes d’autres couleurs. Or, on ne peut, au nom de la dénonciation du « privilège blanc », enfermer chacun dans sa pure expérience ; on a alors deux mondes qui s’excluent, et une revendication de non-mixité, non pas stratégique mais structurelle. […]
Certes, il y a eu du racisme caché dans l’universel, mais maintenant il y a des dérives racialistes dans le communautarisme et les revendications identitaires actuelles. Nous faisons le pari qu’un universel repensé peut aussi servir à déconstruire le regard ethno-centré et non plus à le masquer, et ouvrir à des façons de penser les différences qui ne soient pas essentialisantes, et donc redoutables. Il faut pour cela, dans ce nouveau contexte, complexifier l’universel, et voir quel type d’usage des différences et particularismes peut être fait aujourd’hui, pour conserver l’indispensable conception de l’unité du genre humain, de la communicabilité, seul universel qui vaille.
Il faut reprendre, pour le dépasser, l’un des noyaux essentiels de la critique post-moderne à l’universel : la critique de la raison et de la domination qui lui serait inhérente, car cette critique est trop souvent caricaturale et réductionniste, les Lumières y étant traitées comme un bloc homogène. Or, il y a une complexité et une ambiguïté dans les Lumières ; elles constituent un formidable effort de décentrement par rapport à l’institué, une mise à distance de soi […], et elles énoncent des points généraux sur l’humain : raison, liberté, égalité, bien qu’elles émanent d’un lieu et d’un moment précis, d’un groupe social particulier ; comment en serait-il autrement ? Mais le post-modernisme ignore leurs contradictions. Or, il faut le redire d’emblée, sans les Lumières, pas de critique possible aux Lumières. En effet, elles ont inauguré un nouveau rapport de l’homme à lui-même dont le point nodal est la distance réflexive, le doute, le soupçon, la mise en cause de ce qui est, de l’institué, tout autant et peut-être plus que l’orgueilleuse raison ou la réalisation de l’Esprit dans l’histoire, etc. […]
Or, de l’intérieur de la modernité, la critique n’a pas attendu les post-modernes ; elle traverse le XIXᵉ siècle à travers le romantisme (qui se distingue de la critique anti-moderne d’un Burke ou autre), les utopistes et le mouvement social, (sur le mode de la non-conformité des politiques aux promesses entrevues), mais aussi le XXᵉ siècle, après la guerre de 14-18 et le démenti cinglant apporté aux valeurs de progrès.
Mais aujourd’hui, on nous dit que le Cogito ergo sum ne serait fait que pour dominer, version post-moderne, pour recouvrir la négation de l’autre, version décoloniale ; l’humanisme ne serait que la couverture de la domination de la nature, qui impliquerait nécessairement la domination sur l’homme (Serge Latouche), et l’exigence de vérité, d’esprit scientifique contenue dans les Lumières serait a priori liberticide. Or ce n’est pas l’esprit scientifique qui est liberticide, c’est l’orientation qui lui est donnée, les techniques qui en découlent, prises dans la marchandisation. Cela doit-il entraîner un rejet massif d’une approche rationnelle du monde physique ? On ne bazarde pas aussi facilement le raisonnement scientifique, la référence au réel et à ses règles ; on ne peut s’émanciper à ce point d’une certaine réalité sans retomber dans un irrationalisme total. Car alors, qui énonce la vérité, s’il n’y a pas un minimum de règles scientifiques communes, admises par tous parce que vérifiées ? Le pouvoir du moment ? On voit ça aujourd’hui, dans un autre registre, avec les « faits alternatifs » et autres « fake news ».
[…] Le legs rationaliste des Lumières est loin de se réduire à la maîtrise, et se situe tout autant du côté de la sortie de l’obscurantisme religieux et de l’autonomie ; il implique liberté, égalité, dignité, respect de la vie, justice, recherche de la vérité. C’est du reste bien l’usage de la raison critique qui rend possible l’universalisation du combat pour la liberté et l’égalité. L’universel critiqué par les post-modernes est un universel contaminé par la domination, mais il n’en est pas la source,
Ce qui est derrière ce concept tronqué de raison, présenté comme le tout, c’est en réalité, on le sait, une figure de la raison, calculatrice et intéressée, c’est la raison instrumentale qu’il faut distinguer de la raison critique, c’est-à-dire ne pas confondre maîtrise et émancipation. La limite du post-moderne tient à ce qu’il « colle » deux éléments : la raison (dont les figures sont multiples, on le sait) et la domination. […] L’École de Francfort avait […] procédé à une critique de cette raison dominatrice en la distinguant de la raison émancipatrice avec laquelle elle ne la confond pas, et qu’elle préserve, démarche très différente du confusionnisme ambiant. […]
Voilà une base possible pour la recherche d’un nouvel universel qui conserverait l’émancipation, au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain ; autoréflexion de la raison susceptible de sauver la raison, en reprenant le côté sensible et qualitatif de l’humain, la dimension du commun malmené par l’atomisme de la conception de l’individu. Un universel comme réconciliation des différences prenant en compte les figures de l’individu protestataire, du « petit », de la pensée des limites. […]
La critique post-moderne à l’universel souligne en effet un paradoxe : celui d’une « transcendance » des droits de l’homme, dans une société basée sur l’immanence. Ce qui est reproché à l’universel, à l’universalité des droits de l’homme, ce serait de se poser en « surplomb », d’être abstrait, de se situer comme transcendant, absolu, et donc de s’imposer et de recouvrir des « effets de pouvoir » masqués. Il n’est pas sûr que le problème soit bien posé de cette façon. Pour deux raisons.
Tout d’abord, […] c’est leur instrumentalisation [de ces droits] aux fins de domination […]qui pose problème, mais pas leur dimension universelle en soi. Dans de très nombreuses cultures on trouve d’ailleurs ces idées du droit à la vie et la dignité, et on peut très bien les considérer comme un horizon désirable pour tous. En effet, si on n’accepte pas comme horizon minimum commun au genre humain le droit à la vie, au respect, à l’égalité et la liberté, cela signifie que c’est son envers qui s’impose, à savoir la légitimation implicite de la violence et de la destruction de l’autre. […]
Ensuite, on peut penser la question dans une autre dimension que « transcendant/immanent », à partir de la notion de capacité symbolico-instituante, d’imaginaire radical inhérent au genre humain, ou plutôt à la condition humaine, tel que proposé par Castoriadis. Si l’on réfléchit dans ce cadre, les droits de l’homme ne sont pas une notion transcendante qui s’imposerait aux humains de l’extérieur, c’est un institué par choix, et porter ces droits à l’universel en tant que valeurs ne leur confère aucune transcendance ; ils sont en tension entre la dimension de l’institution (leur « universalisme », ou « universalisation » comme devenir) et la portée générale de leurs valeurs.
[…] Chaque société construit son mode de significations, […] cette capacité symbolico-instituante est inhérente à la condition humaine. S’il y a de l’universel, c’est alors la création social-historique comme « processus ». Et il va de soi que l’on ne peut imposer ces valeurs de liberté. La condition d’une universalisation, ce serait que les autres se les approprient… sans s’européaniser ; or, ce qui s’est répandu aujourd’hui, ce sont moins ces valeurs d’autonomie que le projet de maîtrise rationnelle accompagnant le capitalisme mondialisé, auquel elles se heurtent. Mais ce projet d’autonomie est toujours en chantier, au gré des forces et des possibilités du moment, loin d’un absolu qui s’imposerait.
Pour la pensée décoloniale, […] l’oppression coloniale n’est pas une conséquence indirecte d’une modernité globalement émancipatrice, elle est un des aspects fondamentaux d’une configuration du pouvoir occidental moderne, qui est intrinsèquement colonial, c’est-à-dire expansionniste, impérialiste, dominateur, non seulement aux niveaux économique, politique, et culturel, mais épistémique et ontologique. Cette critique reprend donc, en la radicalisant, la critique postmoderne à la philosophie occidentale du Sujet ; il y aurait un lien entre l’histoire de la colonisation, le savoir, et particulièrement la théorie de l’être, l’ontologie, qui a un rôle dans la reproduction des régimes de pensée coloniaux, l’autonomie du sujet occidental ne pouvant être fondée que sur la dénégation de l’Autre. […] Les décoloniaux procèdent donc à une reconstruction de l’histoire de l’humanité à partir du concept de « race », qui devient l’élément central et articulateur du système de domination de la colonialité. Cette catégorie essentialisante est reprise et constituée en ressource stratégique dans les luttes pour l’émancipation ; la race se substitue à la classe.
Ces critiques à la pensée des Lumières et à l’universel recouvrent en fait le capitalisme mondialisé ; il y a chez les décoloniaux confusion entre universalisme abstrait et mondialité concrète, qui pour eux se recouvrent. […] Les analyses des décoloniaux confondent aussi l’universel avec l’uniforme : certes il y a une tendance à l’uniformisation des modes de vie sur la planète, fruit de l’expansion capitaliste ; mais ce n’est pas un universel… c’est la mauvaise homogénéisation, et c’est l’inversion des valeurs universelles d’émancipation. La critique justifiée du colonialisme – qui ne date pas d’hier – n’a pas besoin de s’accompagner d’une critique de l’universel, et d’un retrait identitaire, ni d’une reconstruction de l’histoire à partir de particularismes très souvent mythologisés dans une pureté d’origine qui n’a plus cours aujourd’hui, car le monde s’est métissé. […]
Ces auteurs sont ambivalents par rapport aux solutions identitaires […] On sent chez eux une certaine gêne sur cette question de reconstruire le monde à partir d’univers culturels originaires, assez mythologisés somme toute, et la question de la lutte contre l’eurocentrisme (légitime quand il s’agit de la domination) l’emporte sur la recherche d’un monde commun. Il y a une inversion des centres. Ici, toute prétention à l’universel est vue comme eurocentriste. Or, répétons-le, le projet des Lumières n’est pas que l’alibi théorique de l’ethnocide concret ; l’universel sert à garder le cap de l’émancipation, à condition d’en préciser la notion, car en face il ne reste qu’un relativisme dangereux, avec son cortège de fermetures et d’exclusions. Il faut donc sortir de la confusion entre universalisme, comme exceptionnalisme européen, et l’universel, comme horizon à construire.
Tout d’abord, il n’y a pas de solution simple ; repenser l’universel, c’est le complexifier pour le conserver, à l’écart tant d’un universel « de surplomb » que de l’incarnation de l’universel dans le particulier (dans leurs versions hégéliennes ou marxistes), mais en renouvelant la conception de l’universel à partir du particulier. […] La question est celle des modes d’articulation des cultures différentes, particulières, dans cet horizon commun.
Les points de vue semblent s’organiser autour de trois pôles :
— Soit on déplace le centre de gravité vers le « particulier » pour reconstruire un universel, mais on risque d’en rester à leurs contradictions.
— Soit on conserve un universel ouvert et on part des éléments d’universel contenus dans les différents particuliers ; se pose la question de la possibilité de leur traductibilité.
— Soit on déplace l’approche de la question, vers l’universel conçu comme horizon, car si l’universel est difficile à penser, on est tout aussi incapable de s’en défaire.
[…] Conserver l’universel est indispensable : c’est l’universel, et non le particularisme, qui porte un démenti aux universalismes établis, c’est-à-dire à l’universel qui s’est trahi en devenant dominant, et aux dérives essentialisantes et excluantes des particularismes. On peut donc différencier l’universel de l’universalisme (universel installé) et de l’universalisation (processus des prétentions à l’universel) ce qui permet de séparer l’universel des totalités positives réalisées qui se donnent comme tel.
On en revient donc à la question du commun : l’universel, ce n’est ni le plus petit dénominateur, ni la synthèse, c’est au minimum le commun de l’intelligible, l’exigence de cohérence et de communicabilité, posée comme horizon ; il s’agit de faire dialoguer les cultures, donc travailler dans l’écart, laisser le travail du négatif se faire, envisager l’universel comme un régulateur, et conserver quelques notions universelles communes. […]
Le problème devient alors celui de la recherche de valeurs communes, et de leur traduction d’une culture à une autre. La question (et la difficulté) est de trouver des conceptions inclusives, à partir de la construction d’un système de références commun, qui ne se donne pas comme préexistant, mais soit fondé sur nos principes et nos erreurs, de manière à en faire une expérience élargie. […] L’universel est pensé là comme un chantier, conservant la dimension de l’émancipation, du partageable, et des combats pour la liberté et l’égalité, et faisant le pari que la difficulté posée par la traductibilité des valeurs communes n’est pas un obstacle à ce nouvel universel.
Traduire, en effet, signifie déjà un « vouloir vivre ensemble » (même métaphorique) à partir du pluriel, se comprendre. Mais l’un des problèmes est que pour « traduire », il ne faut pas poser au départ des entités culturelles closes et étanches, mais chercher des signifiants communs, dans le cadre de ce qu’ils appellent des « chaînes de culture », et voir les branchements possibles. Il s’agit de déjouer les pièges d’un retour à des identités culturelles originelles (qui recouvre souvent une instrumentalisation par les élites locales aux fins d’une domination), et de partir du fait qu’aujourd’hui toutes les cultures se sont déjà hybridées depuis longtemps.
[…] L’universel est ainsi posé comme « à construire », c’est à la fois un chantier (les possibilités de traductions d’une culture à l’autre) et un horizon (l’approfondissement des dimensions d’universalité contenues dans chaque culture). Il faut arrêter de questionner toujours l’origine, de s’y identifier, pour mieux ensuite fabriquer de l’exclusion. Ainsi […] les révolutions des printemps arabes de 2011 se sont faites avec les valeurs démocratiques occidentales, est-ce que cela pose problème ? Non, l’essentiel est de maintenir l’ouverture, de s’opposer à la clôture. […]
Les droits de l’homme ne sont pas universels (au sens de réalisés) mais leur défaut ou privation fait ressurgir à vif un « universel de l’humain ». Ils sont, si l’on veut, un universel négatif. Ils sont une capacité universalisante. […] Il faut donc garder l’universel, qui rend possible une affirmation de l’humain en dehors de sa culture aussi, et par là une communicabilité entre humains, envisager un universel « qui ne sature pas les possibles », et rechercher les parcelles d’universel détenues par les différentes communautés humaines. On peut critiquer […] l’universel en Occident, mais son exigence ne se résorbe pas, et on ne peut l’identifier à un vieux rêve totalitaire. L’universel, c’est le désirable pour tous, et ce n’est pas une totalité. Tout discours universaliste est toujours confronté à son antithèse, à ses limites ou exclusions internes, à son refoulé. L’universalité n’est pas donnée d’emblée, si elle s’affirme comme telle, elle ne peut que se nier […]. Il faut donc réconcilier la raison avec les dimensions de l’humain, le négatif, le manque, la faille, mais à l’écart du doute total ou du relativisme paresseux. […] Sa fonction [de l’universel] est d’inquiéter toute saturation-satisfaction. Il est un antidote à la plénitude réalisée ; loin d’une complétude acquise, il appelle son dépassement, car il porte un effet de manque, il n’est jamais complet ni comblé. C’est une exigence. Sa légitimité se révèle dans les situations de tension (les luttes pour les droits). Il garde donc un aspect émancipateur et subversif. Il maintient l’humanité en quête.
Monique Rouillé-Boireau, Membre fondateur du collectif depuis 1996
Points de vue sur l’anarchisme L’anarchisme est un anti-universalisme