Extrait de Milieux de vie en commun et colonies

Extrait de Milieux de vie en commun et colonies

E. Armand

On peut se demander pour quel motif les adversaires des « colonies » veulent qu’elles durent indéfiniment. Où en est l’utilité ? Pourquoi serait-ce désirable ? Toute « colonie » fonctionnant dans le milieu actuel est un organisme d’opposition, de résistance dont on peut comparer les constituants à des cellules ; un certain nombre ne sont pas appropriées au milieu, elles s’éliminent, elles disparaissent (ce sont les colons qui abandonnent la colonie après un séjour plus ou moins prolongé). Les cellules qui résistent, aptes à vivre dans le milieu spécial, s’usent plus rapidement que dans le milieu ordinaire, en raison de l’intensité de leur activité. Il ne faut pas oublier que, non seulement, les membres des colonies ont à lutter contre l’ennemi extérieur (le milieu social dont l’effroyable organisation enserre le petit noyau jusqu’à l’étouffer), mais encore, dans les conditions actuelles, contre l’ennemi intérieur : préjugés mal éteints qui renaissent de leurs cendres, lassitude inévitable, parasites avoués ou cachés, etc. Il est donc illogique de demander aux « colonies » autre chose qu’une durée limitée. Une durée trop prolongée est un signe infaillible d’amollissement et de relâchement dans la propagande que toute colonie est censée rayonner : telle est du moins l’expérience acquise. […]

D’ailleurs, on ne comprend plus ce souhait de durée indéfinie, dès qu’on considère la « colonie » pour ce qu’elle est : un moyen, non un but.

Nous ignorons absolument si « la colonie » communiste, individualiste ou coopérative a quoi que ce soit de commun avec une société communiste, individualiste ou coopérative qui engloberait un vaste territoire ou la planète tout entière ; c’est pour nous pure folie que de présenter « une colonie » comme un modèle, un type de société future. C’est « un exemple » du résultat que peuvent déjà atteindre, dans le milieu capitaliste et archiste actuel, des humains déterminés à mener une vie relativement libre, une existence où l’on ignore le moraliste, le patron et le prélèvement des intermédiaires, la souffrance évitable et l’indifférence sociale, etc. C’est également un « moyen » éducatif (une sorte de « propagande par le fait »), individuel et collectif.

Extrait de Danser au bord du monde Les livres, les revues, etc.